De l’autre côté du lac

15.09.2021 - Écrit par Pauline Verduzier, illustrations de Camille Deschiens.

 

Alexis est ouvrier dans le bâtiment. Après avoir perdu son emploi, il se retrouve sans logement. Il est accueilli dans un centre d’hébergement de Haute-Savoie, puis au sein d’une résidence sociale. Pour tromper la solitude dans laquelle il se trouve, il décide de s'inscrire sur un site libertin. Ses aventures l’amènent à envisager le sexe comme un travail. Habillé avec des vêtements donnés, le jeune homme se décide à traverser la frontière suisse pour passer un entretien d’embauche qui va changer le cours de sa vie.

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Le ferry vient tout juste de quitter Thonon-les-Bains. Il laisse derrière lui son port de plaisance, sa côte bordée d’arbres et son funiculaire. Les hauteurs de la ville offrent un panorama sur le lac Léman, qui change de couleur en fonction du ciel. Sur le rivage d’en face, la Suisse, vers laquelle se dirige le bateau. La coque fend l’eau bleue et calme à une allure agréable. Le ronron du moteur berce les passagers. À bord, Alexis essaie de se concentrer sur les sensations des vaguelettes sous ses pieds. Accoudé à la rambarde sur le pont, il regarde les reliefs alpins. Il se sent mal dans ses vêtements. Sa veste de costume lui a été prêtée par une connaissance. Il l’a enfilée par-dessus une chemise pas tout à fait à sa taille. Malgré le cadre bucolique, il n’est pas serein. 


Alexis s’apprête à rencontrer ses tout premiers clients en tant qu’escort pour une agence suisse. Une structure connue à Genève pour proposer des services sexuels tarifés à une clientèle fortunée. Sa nouvelle patronne, Jeanne, l’appelle pour lui donner quelques informations en amont de cette entrevue. Il s’agit d’un couple résidant à Lausanne. Monsieur veut faire une surprise à madame en lui offrant un « soumis », c’est-à-dire un homme servile capable de répondre à ses exigences dans des jeux sexuels. « Est-ce que ça vous dérange ? » Non, tout ce qu’ils voudront, il est prêt à le faire. Alexis doit retrouver une autre escort de l’agence sur le chemin pour y aller ensemble. Le client leur a demandé de prétendre qu’ils forment eux-mêmes un couple libertin « un peu chaud », pour que sa compagne ne se doute pas qu’il s’agit d’un acte rémunéré. Après leur conversation téléphonique, la directrice de l’agence lui envoie un texto avec les tarifs de la prestation. Dans son établissement, l’heure se monnaie 650 euros, dont 35 % lui reviennent. Le client a réservé les deux escorts pour deux heures. Alexis a du mal à réaliser qu’il peut gagner une telle somme en si peu de temps. Il n’est pas en position de refuser : il n’a plus un sou. Ces deux heures pourraient le sortir de l’ornière. Lui permettre de souffler après des mois de difficultés.

Il n’aurait jamais pensé se retrouver un jour sur ce bateau, à faire ce déplacement professionnel en tant que travailleur du sexe. Avant d’en arriver là, il a eu un parcours mouvementé. Quand je l’ai rencontré une première fois en 2019 pour l’interviewer, on s’est installés dans un café de Thonon-les-Bains à une heure matinale. Il n’y avait que des retraités en train de prendre leur petit déjeuner ou de lire le journal. Alexis détonnait dans son jogging. Svelte, tout en muscle, il a un visage sculptural, les joues creuses mais la mâchoire puissante, des yeux qui pétillent, des cheveux châtain vaporeux tel un duvet d’oisillon et une peau hâlée comme s’il revenait de vacances. Des filles croisées aux abords du lac lui ont déjà demandé s’il était gogo dancer. Pendant que nous parlions, il a bu son café en partant dans de grands éclats de rire enfantins. J’ai mangé une viennoiserie pour l’observer tout en me donnant une contenance. Il était un peu gêné de me parler de son intimité. « J’ai jamais raconté mon histoire, à personne. J’ai pas mal galéré, pour être honnête avec toi », a-t-il dit avec une soudaine gravité.

Le début de son récit remonte à 2018. À cette époque, il a 38 ans et il travaille dans le BTP en tant qu’échafaudeur. L’échafaudeur, c’est celui qui s’occupe de réaliser les structures métalliques sur un chantier, puis de les démonter. Il s’assure de la sécurité des collègues qui y travaillent. Alexis n’est pas déclaré. Ce boulot ne lui plaît pas vraiment, même s’il aime admirer son œuvre une fois l’échafaudage terminé. Mais quand sa mission prend fin et qu'il ne retrouve pas de travail, Alexis perd pied. L’équilibre fragile qui structurait son quotidien se brise. Rapidement, il est contraint de quitter le logement sous-loué qu’il ne peut plus payer. Avec un sac pour tout bagage, il se retrouve sans domicile fixe. Il lui est difficile d’être à nouveau confronté à une précarité dans laquelle il a vécu une bonne partie de sa vie. Dans son esprit, c’est comme s’il était revenu à la case départ. Comme si tout le chemin parcouru depuis l’enfance n’avait servi à rien. Alexis a eu une jeunesse « accidentée ». 

Après sa naissance sous X dans l’est de la France, il est ballotté entre familles d’accueil et foyers de l’aide sociale à l’enfance. Il reçoit peu d’affection de la part des adultes qui le prennent en charge. Il connaît quelques démêlés avec la justice puis une vie d’adulte itinérante entre l’Allemagne et la Savoie. Il ne fait pas d’études, voyage en fonction des opportunités ou des rencontres, ne s’attachant pas aux villes, ne faisant son nid nulle part. Souvent, ce sont des femmes qui lui permettent de rebondir. Il aime discuter avec elles sur des tchats téléphoniques, des sites de rencontres libertins ou sur les réseaux sociaux. Il parle avec ses correspondantes pendant des jours. Certaines lui proposent de faire l’amour, seules ou avec leurs maris. Alexis aime le sexe. Ces aventures sexuelles sont à ses yeux l’une des seules possibilités de lien humain qui lui restent, après toutes ces années à vivre sans attaches, sans famille ni amis proches. Ses amantes aiment le côtoyer et coucher avec lui. Elles le dépannent en retour en le logeant pour quelques nuits ou plus et en lui offrant à manger.

En ce mois de mai 2018 qui l’a laissé sans emploi et sans logement, il s’est installé de manière provisoire chez sa dernière partenaire. Mona, une mère célibataire rencontrée sur Internet, lui a proposé de vivre quelque temps avec elle et son fils. Alexis l’apprécie, mais il craint d’être un poids pour elle. Comme il n’a plus rien, il a peur d’entamer une relation basée sur un rapport de dépendance. Il lui est reconnaissant de l’héberger, mais la situation n’est pas tenable à long terme. Même dans la pauvreté, il est farouchement attaché à son autonomie. Il a envie de se reconstruire avant d’envisager une histoire d’amour. Il fait part de ses réflexions à Mona et finit par quitter son appartement sur un coup de tête. En faisant ce choix, Alexis se retrouve à la rue.

Au bout de quelques heures dehors à errer, il se résout à composer le 115. Après plusieurs tentatives, on lui trouve une place dans un centre d’accueil pour sans-abris non loin de là où il se trouve, en Haute-Savoie. Pendant un mois, il fait ce qu’il appelle « les trucs de SDF ». Une routine immuable. Il est réveillé le matin à 6 heures et arpente la ville, avant de revenir le soir pour avoir un repas et un endroit où dormir. Les lits superposés s’alignent dans les chambres, le couchage est sommaire. Il y a la gale et les démangeaisons incontrôlables qu’elle provoque. La nourriture y est infecte. Il se gave de pain, un des seuls aliments qu’il parvient à avaler. Là encore, les sensations sont familières et lui rappellent l’enfance. Alexis a déjà eu faim. Certaines familles d’accueil chez qui il a vécu rationnaient la nourriture qu’elles lui donnaient. Il ressentait un manque. Son ventre gargouillait.

En dehors du centre, les journées sont marquées par le sport dans l’espace public et par l’errance. Ou la flânerie, selon la météo et l’humeur du jour. Il échange de temps en temps avec les clochards du coin. Les différents types d’aides se succèdent : Emmaüs, les dons de vêtements, les colis alimentaires, et même la permanence d’accueil de la paroisse locale.

Une pièce à soi

Une après-midi de juin, le prêtre de cette paroisse voit débarquer un jeune homme dans le lieu de culte. Il a près de quarante ans, mais il a quelque chose de juvénile. Ses traits légèrement marqués dégagent une grande douceur. L’homme d’église a l’habitude d’accueillir des déshérités dans la maison du Seigneur. Il décide de l’aider et prélève sur la quête du jour un peu d’argent pour lui payer des photos d’identité afin de refaire ses papiers qui arrivent à expiration et qu’il puisse ainsi déposer une éventuelle demande de RSA, ou chercher un emploi. Il l’accompagne à un photomaton, sans jugement. Alexis, qui se sent désormais « comme les clodos » qu’il côtoie, est bouleversé. Il repart aussi avec de la nourriture. « Merci », souffle-t-il, se promettant de revenir voir le curé quand il ira mieux.

Après une longue attente, il finit par trouver une place dans une résidence sociale à Thonon-les-Bains. Le bâtiment est un immeuble blanc un peu décati percé de fenêtres carrées, planté en bordure de route. Sa chambre est très petite. Mais ce sont quatre murs qui représentent un morceau de sécurité et de répit. Une pièce à soi, enfin. Il y a juste un lit, un coin cuisine, un évier et une minuscule salle de bains. Les murs sont défraîchis. La tapisserie est usée. Quand on ouvre la lucarne, on voit le parking où chantent parfois des oiseaux. Ses quelques affaires trouvent leur place dans un placard. C’est une vie dans le dénuement qui commence à nouveau, mais une vie à l’abri. La promenade qui longe le lac n’est pas très loin à pied. Alexis continue de passer ses journées à marcher et à faire du sport, s’infligeant d’intenses séances de musculation ou de yoga face à l’eau. Il refait quelques journées sur des chantiers pour payer la chambre, vit chichement, mange peu, fume quelques joints. Au début, il ne voit pas comme une contrainte l’isolement dans lequel il se trouve. Plutôt comme un choix, voire une forme de liberté. Personne n’a jamais passé la porte de chez lui, à cause de la honte attachée à ces murs. Il n’y a que moi, la journaliste, qui aie eu l’autorisation d’y entrer pour enregistrer son histoire lors d’une de nos interviews. On y discute de la suite des événements, assis sur son petit lit une place. Certes, ce n’est pas très grand, mais ça lui suffit. « Tu me juges pas, hein ? » demande-t-il. 

Quelques semaines après son installation, les rencontres lui manquent. Maintenant qu’il a un toit, il est prêt à reprendre contact avec les autres. À vivre de nouvelles aventures sexuelles. Ces interactions charnelles éphémères ont toujours été un moyen pour lui d’avoir une vie sociale et affective sans s’engager, et donc sans risquer d’être abandonné. Alexis renoue avec ses anciennes amours, ou plutôt, ses anciens réflexes. 

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Un soir, il se connecte sur son téléphone à un site libertin qui a pignon sur rue, où il est déjà inscrit depuis plusieurs années. Sur la page d’accueil, un visage féminin aux yeux maquillés d’ombre à paupières mime une expression de plaisir extatique. Le profil créé par Alexis porte ce nom mystérieux : “X187”. Quelques informations y sont détaillées. Taille : 178 cm. Poids : 70 kg. Silhouette : sportive. Statut conjugal : célibataire. « Au plaisir de vous découvrir ! Femmes et couples, organisateur de soirées multi », indique son annonce. Une vingtaine de recommandations de la part des usagers qui l’ont rencontré chantent ses louanges. Les commentaires sur son apparence, sa gentillesse et ses prouesses sexuelles, sont unanimes.

« Mme n'a pas résisté à ton charme lors de cette soirée. Tu es très

sympa, entreprenant et respectueux. Un partenaire de jeu que l'on

vous recommande sans hésiter », écrit un mari.

Une amante s’est fendue d’un mot doux : « Des mois à se parler des kms qui ns séparent une rencontre improbable & quel cadeau de Noël avt le 24 une cerise sur le gâteau Complètement bleufée par cette soirée matinée tu m'a épuisée par ta fougue ta sensualité ta ferveur tu & adorable attentionné doux câlin & j'en passe & ho mon dieu quel trésor que j'ai goûté à toutes les sauces Que ce fût bon de parcourir ton beau corps d'athlète avc mon corps Ce fût des moments formidables à ts niveaux hâte de te manger à nouveau Bises ton Amazone. »

Pour Alexis, ces mots sont d’un immense réconfort. On ne lui a pas souvent adressé de paroles d’encouragement. À l’école et dans les centres de ce qu’on appelait alors la DDASS, on lui a même déclaré qu'il n’arriverait à rien dans la vie. Le jeune garçon a fini par se convaincre que c’était vrai. Lire ces phrases écrites noir sur blanc qui disent de lui qu’il est « sympa », « beau » et « gentil », lui font donc l’effet d’une caresse. Parmi ces messages, il y a celui de Natacha et Pascal, un couple de quinquagénaires bons vivants qu’Alexis adore.

« Invité pour un soir, il fut tellement parfait que nous l'avons

gardé le lendemain, ce qui est inédit pour nous ! Au-delà d'une

plastique de rêve et de ses performances sexuelles hors pair, nous

avons découvert un homme sensible, très câlin, intelligent et

spirituel qui est vite devenu un complice en totale connexion avec

nous. Bref une de nos plus belles rencontres masculines : le top du top

! Vivement d'autres moments torrides. »

Cela fait plusieurs années que Natacha et Pascal « libertinent » ensemble dans la région lyonnaise. Ce sont deux bruns aux yeux marron pour lui, verts pour elle. Il est cadre, elle est employée. Le jour où ils tombent sur le profil d’Alexis, le couple est intrigué par les recommandations élogieuses et les photos sexy qu’il a postées. Son torse et ses abdos sont parfaitement dessinés. Mais Natacha a un mouvement d’hésitation quand elle regarde l’écran de son ordinateur. Quel genre de bellâtre arrogant peut-il être pour se prendre ainsi en selfie dans son miroir ? « Encore un mec égocentrique imbu de lui-même, avec tout dans les muscles et rien dans le crâne », se dit-elle. Natacha finit quand même par lui écrire, pour voir. Alexis lui donne accès à son album de photos privées - et dénudées - sur le site libertin. « Il est quand même très bien monté. Il a l’air d’avoir beaucoup de succès », reconnaît-elle auprès de son mari. Le couple doit justement se rendre en Haute-Savoie pour y retaper une maison. Ce serait l’occasion de s’y retrouver. Le rendez-vous est pris et Alexis débarque dans leur vie. Il est souriant, enthousiaste. Ses hôtes sont sous le charme. Après avoir dîné et fait connaissance, le trio couche ensemble. Alexis est invité à passer la nuit chez eux. Leur maison secondaire est agréable, Pascal et Natacha, attentionnés. Il repart avec un sentiment de joie, heureux d’avoir fait leur connaissance et de se sentir en confiance au point d’envisager de revenir leur rendre visite. Ils se revoient, et Alexis se rapproche de Natacha. Il peut lui parler pendant des heures du lac Léman, du cosmos et des « énergies » dont il est persuadé qu’elles circulent entre les êtres. Quand il lui téléphone, Natacha a l’impression d’être comme une tante pour lui, une confidente. Elle comprend qu’Alexis est libertin en partie parce qu’il recherche une forme de contact, d'amitié, qu'il ne trouve pas ailleurs. Il a aussi besoin de reconnaissance, voire de validation, songe-t-elle. Alexis lui confie être un « enfant de la DDASS ». Elle est touchée qu’il lui parle de son passé. Malgré son parcours de vie, elle lui trouve un côté très « pur », aérien, presque mystique. Et aussi un côté « racaille », comme elle dit. Ça fait partie de son charme.

Pour Alexis, le libertinage est un poste d’observation privilégié des mœurs des autres, de leurs sexualités, de leurs manières de s’exprimer et d’exister. Ce mode de vie lui ouvre les portes de leur intimité. Il court les soirées privées, à trois et à plus, les lieux de débauche collective que sont les clubs, les « coins câlins », les chambres à coucher et les hôtels. Ce sont des endroits où il peut discuter, partager un dîner, dormir, sociabiliser. D’ailleurs, avec le bouche-à-oreille du milieu et la multiplication de ses expériences, des couples insistent de plus en plus pour le recevoir et passer le week-end ensemble. Les « likes », les commentaires et les demandes le surprennent toujours, mais ils l’aident indéniablement à retrouver une meilleure estime de lui. Pour la première fois de sa vie, il se sent apprécié. Mieux, convoité. Qui plus est au sein d’une classe sociale qui n’est pas la sienne, par des gens « de qualité », qu’il admire. Car le plus souvent, Alexis tombe sur des personnes aisées, qui ont un train de vie totalement différent du sien. Elles dégagent une assurance et une aisance en société qu’il n’a pas. Malgré sa pauvreté, il ne se sent pas gêné en les fréquentant. Mais il voit bien qu’un gouffre les sépare. Il ne parle pas comme eux et n’a pas les mêmes références. D’ailleurs, il ne les aurait probablement jamais rencontrées dans un autre contexte. Un couple en particulier lui en met plein les yeux lors de leur rendez-vous. Leur demeure est gigantesque, avec un jacuzzi à l’intérieur. Il n’est jamais entré dans ce genre de maison auparavant. Elle, banquière suisse haut placée, fume un gros joint tout en discutant au téléphone avec des clients sur son lit king size. Le mari, à côté d’elle, enchaîne les whiskies. Alexis est impressionné. Il pourrait prendre goût à ce type de soirée. 

« J’ai envie de me faire plaisir. »

Quelques mois après son installation dans la résidence sociale, Alexis reçoit un nouveau message sur son profil du site libertin. « Vous êtes dispo cet aprèm ? » C’est la demande d’une internaute. Ils font les présentations par texto. Elle lui explique qu’elle est en terrasse avec des copines, qui l’ont poussée à chercher un homme sur Internet. La jeune femme a parcouru les profils du site devant elles. Leurs regards se sont arrêtés sur celui d’Alexis.  « On peut s’appeler ? » demande-t-elle. Alexis décroche. Sa voix, enjouée et un peu rauque, résonne dans son petit studio. « Allô ? » « Bonjour, c’est vous X187 ? » « Oui, c’est moi. » Ils discutent un instant. « Ta voix me rassure, j’ai envie de te rencontrer. En fait, j’ai envie de me faire plaisir », glisse-t-elle. On est dimanche, elle est libre et elle a envie de s’autoriser un moment à elle, pour une fois. Alexis apprécie la démarche, celle d’une femme qui prend son courage à deux mains pour le contacter et lui dire clairement ce qu’elle recherche : une rencontre et du plaisir, sans rien se devoir. Ça le séduit, ça l’excite un peu aussi. Il réserve un hôtel dans une commune voisine de Thonon-les-Bains. L’inconnue prend la route pour le rejoindre. Elle s’appelle Émilie et elle est rayonnante. D’une trentaine d’années, c’est une célibataire active et souriante. Ils prennent des bières et une pizza dehors, puis se rendent à l'hôtel. La nuit est douce et complice. Emilie, qui ne devait rester que quelques heures, ne repart que le lendemain matin.

Il paraît de plus en plus évident à Alexis que la sexualité est un langage. Dans les conversations verbales classiques, il est persuadé de manquer de vocabulaire. « J'ai pas assez de mots pour exprimer ce que je veux dire. Parfois, dans ma vie, je n'ai pas su dire les choses à l'autre », me confie-t-il. Sa vie sexuelle lui prouve qu’il y a d’autres façons de communiquer avec quelqu’un, sans passer par la parole. Certaines discussions se font par le corps, par la tendresse.

Cependant, son ouverture d’esprit se retourne parfois contre lui. Il lui arrive de ne pas savoir dire non. Il s'est tellement habitué à répondre au désir des autres qu’il ne sait plus très bien où se situent les limites du sien. D’ailleurs, toutes ses rencontres ne sont pas aussi tendres qu’avec Émilie. Dans le monde libertin, être un homme seul peut vous attirer soupçons et mépris. Vous êtes perçu comme un électron libre cherchant à profiter des femmes des autres. Les clubs dédiés vous font payer plus cher, peut-être pour dissuader d’éventuels prédateurs sexuels. Pourtant, des prédateurs se trouvent aussi parmi les hommes en couple. Certains vous croient capable d’accepter n’importe quelle humiliation pour accéder au corps de leur femme, considérée comme leur propriété. Natacha, l’amie et confidente libertine, a souvent entendu parler d’hommes faisant venir des célibataires chez eux en les considérant comme leurs serviteurs, sous prétexte qu’ils les « autorisent » à faire l’amour avec leur compagne. Alexis lui a déjà confié s’être senti mal à l’aise, et même utilisé, par certains d’entre eux.

Les hommes qui se comportent ainsi le prennent pour leur jouet. Il devient le « cadeau d’anniversaire » de l’épouse d’un libertin. Un autre lui envoie la sienne dans un hôtel et lui demande avec autorité de tout filmer. Alexis s’adapte. Il a envie de plaire, de faire plaisir. Il a envie qu’on l’aime et sa sexualité est son outil. Mais l’euphorie laisse parfois place à l’amertume. Un soir, il se rend à une énième rencontre. Sur la table basse de la chambre d’hôtel est posée une bouteille de champagne. Il tente de trinquer avec ses futurs partenaires de jeu. Aucun d’entre eux n’ouvre la bouche. Le mari prend une chaise et s’assoit, mutique. Il attend qu’il baise sa femme, déjà en position sur le lit. « Euh, attendez, on boit pas une petite coupe avant ? » Alexis préfère en rester là.

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D’autres couples lui proposent des petits scénarios érotiques. Ça l’amuse, mais il réalise qu’il a plus à cœur de satisfaire les envies des autres que les siennes. Il a intégré que c’est ce qu’on attend de lui. Certains maris sont candaulistes, c’est-à-dire qu’ils sont excités par le fait de voir leur femme dans les bras d’un autre. D’autres ont des difficultés à avoir des érections et veulent que leurs compagnes prennent leur pied avec un type présenté comme « un bel étalon ». Finalement, quand il ne se sent pas utilisé, Alexis prend plaisir à comprendre les fantasmes d’un couple ou d’une femme. On lui dit qu’il est doué pour ça. Sur son profil du site libertin, les recommandations s’accumulent.

Claire, une grande femme pulpeuse aux yeux bleus, lui demande de le voir seule à seul. Alexis réserve une chambre à l’hôtel Campanile. Elle arrive au rendez-vous, magnifique, en lingerie sous son trench. Elle veut du sexe, tout de suite après le resto. Elle lui demande s’il peut lui faire telle ou telle caresse. Après l’amour, ses cheveux blonds étalés sur l’oreiller, elle lui dit en riant qu’elle serait prête à payer pour ce genre de moment dédié à son corps. Alexis se sent honoré. Les jours qui suivent, la réflexion de Claire fait son chemin dans son esprit.

Il en parle au téléphone avec Natacha. 

« Il y a des femmes qui m'ont fait prendre conscience que j'ai peut-être des qualités et que je pourrais continuer le libertinage en le monnayant. J'ai rencontré des partenaires qui ont vu un potentiel en moi et qui pensaient que je faisais ça avant qu'on se rencontre, tu vois ? Donc c’est une petite graine qui a commencé à germer dans ma tête.

- Oui, c’est une bonne idée, mais essaie de garder ta liberté. Il faut que ce soit toi qui tiennes les rênes de ta vie. »

Natacha espère qu’on n’abusera pas à nouveau de sa gentillesse et qu’il ne tombera pas aux mains d’une quelconque mafia. Mais son récit la rassure. Il a enfin compris, à travers les yeux de ces femmes, qu’il est digne du respect d’autrui. Qu’il est quelqu'un de bien. Pour son ego et sa confiance en lui, le travail du sexe pourrait s’avérer plus positif que le milieu libertin. Natacha le dit à son mari : « Il a complètement changé de statut. Il est passé de chair à canon, de serviteur sexuel gratos, à un homme convoité qui vaut un prix. Je pense que ça peut lui faire du bien. »

Même si cela l’effraie, le travail du sexe devient pour Alexis une possibilité à explorer. Parmi tous les couples rencontrés, certains sont sûrement prêts à le rémunérer. Sur son téléphone, il tape « escort » dans Google. Un mot utilisé pour décrire une forme de prostitution exercée en intérieur, en passant par des petites annonces, contrairement au travail du sexe de rue. Alexis aimerait pratiquer dans un cadre sécurisé. Il se verrait bien franchir la frontière et travailler pour une agence en Suisse, où la prostitution est légale et encadrée. Là-bas, les agences d’escorts organisent la mise en relation avec le client, fixent les tarifs et garantissent une forme de sécurité en échange d’une commission qui oscille entre 30 et 40 % du prix de la prestation. Alexis envoie des lettres de motivation accompagnées de photos à une poignée d’entre elles. Quelques jours plus tard, il reçoit la réponse d’une des plus importantes structures à Genève. Rendez-vous est pris avec la patronne, la fameuse Jeanne, qui a répondu personnellement à son mail.

Questionnaire de pratiques sexuelles

Dans le centre-ville genevois, Alexis avance d’un pas mal assuré. Il se sent fébrile et honteux. Sur les épaules, il porte les habits donnés à l’époque du 115. Il a essayé de les arranger comme il pouvait. À l’arrêt de bus, il époussette son jean, rentre son polo à l’intérieur, retire sa veste après un moment d’hésitation. Une grosse berline noire s’arrête devant lui. Une femme en manteau de fourrure s’en extrait. Alexis se sent minuscule face à cette personne qui s’avance vers lui pour lui serrer la main. « Elle va m’avaler tout cru », songe-t-il avec un mélange d’ironie et de peur.

Jeanne et lui s’installent dans le Starbucks du coin. Sur la petite table noire, leurs gobelets en main, ils font un entretien d’embauche d’un genre un peu particulier.

« J’ai lu dans votre mail que vous êtes un habitué du libertinage ? interroge la maquerelle.

- Oui, je libertine et ça se passe bien. J’arrive facilement à m’adapter aux couples et aux femmes, à leurs envies.
- Quelles sont vos qualités dans ce domaine ?
- Je pense que je peux vraiment être à l’écoute des clients, attentif à leurs moindres désirs, à ce qu'ils attendent de moi. Je suis motivé pour leur apporter un moment de plaisir, un service, comme on l'entend. J'ai l'habitude de rencontrer des gens que je ne connais pas et je sais qu'il ne faut pas être timide, qu’il faut être un peu entreprenant, s'adapter en fonction des situations, de leur humeur et de ce qui les amuse.
- Bien. Et à part ça, vous aimez quoi ?


Alexis reste coi. Il ne s’attendait pas à cette question. Personne ne s’est jamais vraiment soucié de savoir ce qu’il aimait dans la vie. Il cache sa surprise et lui parle de sport, de développement personnel, des « énergies » entre les gens. Ça tombe bien, Jeanne croit aussi aux énergies et à l’existence de forces surnaturelles qui nous dépassent. Ils discutent de leurs croyances un peu chamaniques. Elle le trouve charmant. Elle observe ses manières, apprécie sa douceur, essaie de voir s’il peut tenir une conversation. Sa clientèle recherche la compagnie d’escorts qui ont des choses à raconter. La directrice le trouve à l’écoute, contrairement à certains hommes qu’elle voit se présenter en entretien, très sûrs d’eux, pensant que devenir « gigolo » se fait en un claquement de doigts. « Il est parfait », pense-t-elle. 

« Je vais vous préparer un contrat et on va faire un premier rendez-vous “test”. Je pense que ça pourrait bien marcher pour vous », lui annonce sa nouvelle patronne. Jeanne lui fait remplir un questionnaire. Il s’agit de répondre à des questions sur comment le ou la future employé(e) agirait dans une situation donnée. « Une cliente fait un malaise : que faites-vous ? Et si les clients sont alcoolisés ? » Une autre partie du questionnaire concerne les informations corporelles et les hobbies. Le procédé lui rappelle le site libertin. Sur la fiche d’Alexis figurent les éléments suivants, repris dans son profil sur la page Internet de l’agence.


ÂGE 39

TAILLE 178 cm

POIDS 70 kg

YEUX bruns

CHEVEUX châtains clairs

ORIGINE france

INTÉRÊTS massages, yoga, sport, diététique

STYLE moderne, élégant, décontracté

LANGUE français, allemand, anglais


Le petit texte qui l’accompagne est le suivant : « Alexis est un bel homme sportif, agréable, respectueux, courtois, plein de charme et de sensualité. En apparence, il a l'air tranquille et calme, mais derrière ce masque se cache un homme aux multiples visages qui est prêt à satisfaire vos moindres désirs à chaque instant et selon vos envies. Il passe sans problème du massage érotique au strip-tease et peut combler vos fantasmes les plus fous… »

Le questionnaire rempli par Alexis comprend aussi une partie sur les pratiques sexuelles. Il a indiqué, entre autres choses, qu’il embrasse, qu’il peut être dominant ou soumis et qu’il fait des massages avec de l’huile.

Jeanne effectue les démarches pour qu’il obtienne un permis de travail. Dans le processus suisse, il est obligatoire pour exercer légalement le travail du sexe, de suivre la séance d’information de l’association Aspasie, une structure communautaire d’aide aux personnes travailleuses du sexe (TDS), avant de s’enregistrer auprès de la police. Les bureaux se trouvent dans le quartier des Pâquis, entre la gare et le lac. La pièce d’accueil est lumineuse, sobrement décorée, mais chaleureuse. On y boit un café avant de passer dans une salle de réunion et de s’asseoir autour d’une grande table. Les sessions ont lieu tous les jours et réunissent entre deux et dix personnes de diverses nationalités. Certaines ont déjà connu le travail du sexe, d’autres non. Les discussions sont souvent animées par des TDS ou d’anciennes TDS. Des groupes sont constitués en fonction des langues parlées. En une heure trente, on parle du cadre légal et des démarches administratives, de santé et de sécurité. Les thèmes abordés sont nombreux : les IST, les risques spéciaux, par exemple quand on pratique le BDSM, les risques de burn-out, les rythmes de travail décalés, la prise de produits stupéfiants. Une troisième partie porte sur « les ficelles du métier ». La discussion est interactive et le moment se veut convivial. Les expériences fusent autour de la table. Comment aménager une chambre de façon à être le plus en sécurité possible ? Comment positionner son lit et son miroir pour toujours garder un œil sur le client ? Où ranger l’argent ? Que faire quand on a été victime d’agression ? Quels tarifs pratiquer ? Alexis est un des rares hommes hétérosexuels à avoir poussé la porte de l’association. Les animatrices en ont déjà vu quelques-uns se présenter et déclarer qu’ils allaient travailler avec une clientèle exclusivement féminine. Souvent, quand ils n’ont pas lâché l’affaire, ils reviennent quelques mois plus tard en disant avoir accepté de travailler avec des hommes. Jeanne l’a déjà prévenu que le marché est limité, mais qu’il existe tout de même quelques femmes et couples hétérosexuels clients de son agence. La réunion de prévention rassure Alexis. Il se sent prêt à se lancer dans cette nouvelle expérience.

Il faut bander à présent

Quelques jours après son entretien, il doit rencontrer un couple qui réside à côté de Lausanne. C’est ce couple qu’Alexis s’apprête à retrouver quand il prend le bateau pour traverser le lac Léman. À son arrivée en Suisse, il retrouve une autre escort de l’agence, Jade, dont il devra faire semblant d’être le compagnon.

À l’adresse du rendez-vous, un monsieur chauve d’une soixantaine d’années leur ouvre la porte. L’homme les prend à part près du garage pour les briefer. Règle numéro un : sa compagne ne doit pas savoir qu’ils sont payés. Règle numéro deux : ils doivent se comporter comme des soumis dans des jeux BDSM. Une fois l’accord conclu, tout le monde passe à l’intérieur. L’endroit est une maison de maître avec de nombreux tableaux accrochés aux murs. La table de la salle à manger est si longue qu’Alexis rit intérieurement en imaginant le couple dîner, attablé aux deux extrémités. La femme est une quadragénaire brune tatouée au look de surfeuse. L’ambiance est un peu étrange.


« Alexis, sers-nous du vin », dit le mari. « Chérie, vas-y, tu peux lui donner des ordres. Tout ce qui te ferait plaisir : il est là pour ça. Tiens, mets-toi à quatre pattes. »

La dame est gênée. Elle était d’accord avec la rencontre libertine, mais elle ne semble pas vraiment dominante. Il s’agit sûrement du fantasme du mari. Ce dernier, voyant qu’elle n’est pas excitée par la situation, change son fusil d’épaule. Il met de la musique. Elle finit par accepter un massage, puis par demander un strip-tease. 


« Allez Alexis, maintenant, je veux que tu danses. Excite-la. »


Alexis interroge la femme du regard. Elle lui fait signe que c’est ok. Il se met à onduler autour d’elle, qui trône dans un immense canapé. Madame semble contente. Elle et l’autre escort se mettent même à s’embrasser et à se caresser. Puis le couple s’isole pour discuter quelques secondes en aparté. La quadragénaire est partante pour aller plus loin avec Alexis.

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« Il te plaît ? demande le mari.
- Oui.
- Ok. Venez, on passe dans la chambre. » 

À l’étage, l’homme s’installe près de l’immense lit aux draps d’un blanc immaculé. La femme, à moitié nue, monte sur le matelas et se met à quatre pattes près de lui. Tout le monde regarde Alexis et attend qu’il sorte son sexe. Il faut bander à présent, c’est maintenant que tout se joue : sa future carrière d’escort, l’argent qui va lui permettre de vivre mieux, son estime de lui. Tout est contenu dans cet instant. Ne pas bander dans le milieu libertin pouvait être problématique, mais ce n’était au fond pas si grave. Là, on l’attend au tournant. Trois paires d'yeux, ceux des clients et de sa collègue, sont braqués sur son caleçon. Alexis se concentre très fort. Il retire ses sous-vêtements. Et tout se passe très bien. L’homme caresse vaguement l’autre escort. La cliente, maintenant dans les bras d’Alexis, jouit. Puis tout est fini. Les invités sont priés de passer par la case salle de bains et de partir. Au rez-de-chaussée, le monsieur leur remet une enveloppe d’argent.


« Tu t’es senti comment après ? » je demande, suspendue à son récit. « Ils se sont ratés sur la domination, mais le mari voulait vraiment faire plaisir à la femme. J’ai tout de suite aimé ça, je me suis dit que c’était ce que je voulais faire : donner du plaisir et qu’on me paye pour ça. Par contre, moi, j’ai pas vraiment eu de plaisir. C’est pas le sujet. Je m’arrête après la jouissance de la femme. Les mecs qui pensent que ça consiste à baiser des nanas sont loin du compte. Quand on me dit “c’est bon”, j’arrête. C’est tout pour eux. C’est leur plaisir avant tout. »

Il reprend le bateau en sens inverse avec ses sous, l’équivalent d’un Smic en poche, gagné en l’espace de deux heures. Jeanne l’appelle. Il lui dit que tout s’est bien passé. Le lendemain, il se rend à l’agence pour lui donner sa commission.

« J’ai eu de bons retours », lui dit-elle. « J’ai demandé si vous aviez été à leur convenance, et ils m’ont répondu que vous étiez charmant, à l’écoute et endurant. S’il y a de nouvelles demandes, je compte sur vous. »

De son côté, Alexis peut améliorer le quotidien grâce à cette providentielle somme d’argent. Il achète des fruits et des légumes bios, des vêtements, et même une petite télévision. Sa deuxième cliente, qu’il rencontre quelque temps plus tard, est elle aussi satisfaite. Elle écrit ce texto à Jeanne : « Bonjour, je n'ai pas de mot pour décrire, mais c’était top. L'escort correspond bien à l’annonce et vous devriez l'essayer. On dirait pas, mais il assure. Il est increvable. » 

Quand sa patronne lui transfère le message, Alexis en rosit de plaisir. Il trouve encore plus valorisant de recevoir ces compliments de la part de personnes « qui pourraient se payer n'importe qui », et qui l’apprécient, lui, l’ancien ouvrier et enfant de la DDASS. Les mots des adultes qui lui ont dit, enfant, qu’il ne valait rien, s’éloignent peu à peu.

Après quelques clientes, Alexis achète des sacs de courses et retourne à la paroisse du curé qui l’a aidé quand il n’avait rien, pour qu’il les donne à ceux qui en ont besoin. Il sent que c’est juste, un juste retour des choses. Grâce à son nouveau travail, il mange à sa faim. 


Au téléphone, Alexis parle à Natacha de sa nouvelle vie.

« C’est pas étonnant que tu aies du succès, tu as un don pour ça. J’espère que tu vas continuer à t’épanouir là-dedans et te convaincre que tu as des qualités. »


Depuis sa première traversée du lac, Alexis a environ deux rendez-vous par mois. Cela lui suffit pour vivre. Entre deux rencontres, il rédige des petits poèmes lyriques dans des textos que Jeanne fait passer à ses clientes préférées. Elles aiment son écriture soignée et romantique, ses mots doux célébrant leur beauté ou la volupté d’un moment passé ensemble. À côté de son travail, il peaufine sa musculature pour leur plaire. Il passe toujours une grande partie de ses journées dehors, pensant à sa reconversion future : devenir coach sportif, par exemple. Ou pourquoi pas déménager à la campagne et se lancer dans la permaculture. Il n’a toujours pas d’amis proches et presque personne à qui parler de ces choses-là, en dehors de Natacha et des femmes qui le paient. Mais il n’a jamais eu autant de temps libre. Quand il était ouvrier du BTP, il avait l’impression que ses journées lui filaient entre les doigts. Elles s’étirent désormais, à la fois plus paresseuses et plus épanouissantes. Alexis laisse son regard dériver sur le lac Léman en se remémorant ce jour où il l’a traversé dans sa chemise mal coupée, la peur au ventre. Depuis, l’angoisse s’est envolée. Il me l’a dit lors de notre dernière rencontre. Seule reste, toujours bien ancrée, une inextinguible soif de plaire que son métier lui donne parfois l’illusion d’étancher. « Je crois que j’ai trouvé mon chemin », m’a-t-il confié.


 Pauline Verduzier


Note : Les prénoms, ainsi que quelques éléments biographiques, ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes citées.


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